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Serait-ce le temps de revoir les méthodes des sondages ?

les méthodes des sondages
Adélaïde Zulfikarpasic

Interview d’Adélaïde Zulfikarpasic, directrice de BVA Opinion

Alors que la majorité des sondages donnaient Hillary Clinton grande gagnante des élections américaines, seuls les modèles statistiques prophétisaient l’inverse.

Serait-ce le temps de revoir les méthodes des sondages ?

Je ne connais pas suffisamment les méthodes de mes confrères américains pour me permettre de porter un quelconque jugement, je m’en tiendrai donc au cas français. L’actualité est riche là aussi, avec la primaire de la droite et du centre.

Avant toute chose, il convient de rappeler ce que sont les sondages mais aussi ce qu’ils ne sont pas. Les sondages sont des outils de suivi des tendances d’opinion, qui donnent – dans les grandes lignes – des indications sur les rapports de force électoraux à un moment donné de la campagne et qui permettent de suivre les dynamiques à l’œuvre. Par essence ces dynamiques sont mouvantes, jusqu’à l’isoloir. En aucun cas les sondages ne doivent être appréhendés comme une donnée prédictive du résultat d’une élection et encore moins un pronostic. A ce titre, les sondages réalisés en amont de la primaire ont rempli pour partie leur mission, en montrant pendant la campagne quels étaient les prétendants (deux puis trois) qui rencontraient un écho dans l’opinion et en mettant en exergue une dynamique Fillon dans les tous derniers jours du scrutin.

Le décalage entre les derniers sondages et le résultat dans les urnes tient à certains facteurs, qui ne sont pas nouveau, mais qui tendent à s’amplifier, surtout dans le cas d’une primaire : en particulier la forte volatilité de l’électorat. Interrogés une semaine avant le scrutin, un électeur sur trois n’avait pas encore fait son choix (et l’a fait au dernier moment). Tandis qu’un électeur sur quatre parmi ceux qui avaient fait leur choix a déclaré pouvoir encore changer d’avis.

C’est peut-être sur la pédagogie de cette volatilité que nous devons, nous sondeurs mais également main dans la main avec les médias, travailler davantage. Plutôt que d’asséner des chiffres d’intentions de vote comme des données « couperet » et définitives, nous devrions davantage insister sur le fait que si le sondage donne une tendance, celle-ci peut être modifiée à l’aune d’autres facteurs à prendre en considération, comme la volatilité de l’électorat, les fluctuations de choix d’un votant et l’influence des événements extérieurs (relayés et parfois amplifiés par les médias) dans les derniers jours d’une campagne. Ainsi, la dynamique Fillon s’est en grande partie auto-alimentée dans la dernière ligne droite.

Ce que cela nous enseigne, c’est que dans monde du temps réel, il faut adjoindre au sondage d’autres approches pour passer de la photo au film, et capter les mouvements d’opinion qui vont très vite (effet d’un débat télévisé, etc.).

Qu’en pensez-vous ? 

Il est toujours dangereux d’afficher une posture disant les jeux sont fait : c’est le meilleur moyen de confisquer le vote aux électeurs, et d’amplifier les mobilisations, à l’heure où les réseaux sociaux le peuvent sans médiation des appareils. Montrer plus sérieusement la volatilité de l’électorat n’aurait-il pas un meilleur effet : celui d’inciter à aller voter ? Regardez la primaire : donnez le choix aux électeurs et ils s’en emparent.

En tout état de cause, les récents événements (Brexit, élection de Trump, victoire de Fillon) et les critiques adressées au sondage nous invitent nécessairement à questionner nos approches. Et chez BVA, cela conforte une idée qui est la nôtre depuis un moment déjà : aujourd’hui, il ne s’agit plus seulement de mesurer une opinion sollicitée par une enquête par sondage, mais bien d’appréhender la diversité DES opinions, qu’elles soient sollicitées ou spontanées, en adoptant une posture d’écoute plus que de mesure. Le numérique a multiplié les moyens d’engagement et d’expression des citoyens. Ce sont autant de sources à prendre en considération dans notre façon d’appréhender l’opinion publique (ou plutôt, les opinions publiques).

Avez-vous une stratégie d’écoute des réseaux sociaux en complément du téléphone ? 

Oui, en écho avec ce que je viens de vous dire, nous avons lancé en avril dernier, en partenariat avec Salesforce, Orange et la Presse régionale, POP2017, la Plateforme des Opinion Publiques. POP2017 se veut une sorte de laboratoire de suivi et d’analyse, en temps réel et à 360°, des opinions politiques. Le dispositif s’articule autour de 3 composantes dont une première brique « Ecoute du web » (et donc des réseaux sociaux). Cette première brique, en monitorant en permanence ce qui se dit sur internet (réseaux sociaux, blogs, forums, commentaires d’articles, etc.) sur un certain nombre de personnalités politiques et de thématiques, permet de capter et remonter les signaux faibles. Nous suivons le volume de citations de chaque personnalité ou thèmes mais également d’autres indicateurs comme la tonalité de ces mentions, les mots-clés associés, etc. C’est la seule mesure temps réel que nous ayons à ce jour. Elle reflète une posture d’écoute, mais reste très imparfaite car elle mélange activité citoyenne (et d’une partie seulement des citoyens : ceux qui choisissent de s’exprimer sur internet… qui ne sont pas tous les Français), politique, et médiatique avec des boucles de rétro-action permanentes. Si elle apparaît essentielle pour analyser les dynamiques et détecter signaux faibles, elle doit être complétée par d’autres approches :notre communauté citoyenne en ligne qui permet de comprendre de façon plus qualitative comment se forment et évoluent les opinions, et les sondages, qui permettent de quantifier les rapports de force à un instant T.

Et enfin pensez-vous que l’intelligence artificielle et les nouvelles technologies sont les clés des futures enquêtes et sondages comme le cas de l’élection aux Etats Unis ? 

L’intelligence artificielle sera probablement une clef dans la manière dont s’établit la relation entre institut et citoyen : plutôt qu’un questionnaire on-line, demain on va vers un dialogue personnalisé (avec un bots) sur une interface ou le biais de désirabilité sociale sera peut-être moins grand. Mais d’ores et déjà aujourd’hui il y a eu beaucoup d’intelligence et de modélisation dans le cadre de l’élection américaine, y compris du big-data… et pour un résultat qui ne s’est pas avéré meilleur au final ! Car le Big Data, comme le sondage d’intentions de vote, rencontre certaines limites. Ces données ne sont pas exploitables sans une prise en compte de données clefs liées au contexte médiatico-politique actuel : rapidité, émotion, réaction, volatilité, virilité. C’est pourquoi il est fondamental de ne jamais considérer un outil ou une méthode comme parfait et suffisant. C’est la mise en commun des divers outils, enrichis par des données externes, qui nous permettra d’être plus précis dans nos approches. Nous avons plusieurs chantiers de R&D sur le sujet, et j’imagine nous ne sommes pas les seuls : si des start-ups veulent nous rejoindre dans cet effort, nous sommes partants !

 

Interview réalisée par Romaine Klein 

 
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